[Renaliste] Diabète rénal et intolérance aux sucres

Lise Bankir lise.bankir at balikernis.org
Sam 10 Oct 00:56:50 CEST 2009


Bonjour,

La description de ce cas "m'interpelle" comme on 
dit. Vous savez que je suis physiologiste et que 
j'ai travaillé sur le comportement rénal de 
l'urée, d'abord en raison du fait qu'un régime 
riche en protéines oblige le rein à excréter plus 
d'urée et à faire un effort de concentration de 
l'urine plus important. Cet "effort" peu pris en 
considération, a pourtant des conséquences sur la 
filtration glomérulaire et l'hypertrophie rénale 
que mon équipe a décrites il y a dix-vingt ans). 
J'ai continué à travailler sur les transports 
d'urée dans le rein sur des modèles animaux 
(souris transgéniques)

Cet intérêt de longue date pour l'urée fait que 
j'ai peut-être une explication pour cette 
association entre glucosurie et élévation du taux 
d'urée plasmatique.

Par mes lectures et mes travaux, j'ai abouti à la 
certitude qu'il y a dans le rein un transporteur 
permettant une sécrétion active d'urée (lire 
éventuellement ce que j'ai écrit à ce sujet dans 
le livre de Brenner "The Kidney, Edition 2000 et 
dans une revue de l'AJP-Renal en 2005 
(288:881-896, 2005). Personne n'en parle et peu 
de gens le comprennent, mais il y a des raisons 
évidentes pour le comprendre, dont par ex. les 
cas d'azotémie familiale sans insuffisance rénale 
décrits dans 3 articles de la littérature). Je ne 
peux développer d'autres arguments ici. Mais 
j'avais lancé un appel dans "Néphrologie" il y a 
une dizaine d'année (Nephrologie. 1998;19(8):503 
) pour demander qu'on me prévienne si on 
dépistait un patient présentant une urée élevée 
dans insuffisance rénale. J'expliquais le 
rationnel de cette recherche. Ça n'avait 
malheureusement rien donné.

En cherchant quel pouvait bien être le 
transporteur responsable de cette sécrétion, j'ai 
découvert dans la littérature que le transporteur 
actif de glucose SGLT1 situé dans le tubule 
proximal (plus intensémment dans la pars recta) 
est capable aussi de transporter de l'urée. Voir
Panayotova-Heiermann M, Wright EM. 
Mapping the urea channel through the rabbit Na(+)-glucose cotransporter SGLT1
J Physiol. 2001 Sep 1;535(Pt 2):419-25.
SGLT1 est le transporteur à haute affinité qui 
réabsorbe des quantités faibles de glucose mais 
contre un gradient de concentration défavorable 
(c'est à dire quand il ne reste presque plus de 
glucose dans la lumière).

Cet article, plus d'autres éléments que je ne 
peux détailler ici, m'ont amenée à penser à un 
système de transfert d'urée et de glucose (en 
sens inverse) entre la médulla externe (que 
parcourent les pars recta) et la médulla interne 
(où l'urée s'accumule et où le glucose est 
transformé en lactate). Si un défaut génétique 
sur une des molécules impliquées dans ces 
transferts est déficiente, le glucose et l'urée 
doivent tous les deux être perturbés en même 
temps. Il reste du glucose dans l'urine et l'urée 
qui n'est pas secrétée dans la pars recta 
retourne à la veine rénale.

Je ne peux détailler plus ici, mais l'hypothèse 
que je fais à propos de la sécrétion d'urée et 
l'idée que SGLT1 puisse y contribuer me semble 
tenir la route (je l'ai batie peu à peu depuis 
des années à force de lectures, d'observations et 
de recoupements). En fait, j'ai même commencé à 
écrire un article de revue sur la sécrétion 
d'urée dans laquelle j'avais l'intention de 
parler du rôle possible de SGLT1 (mais ça traine 
un peu......).

De plus, il y a d'autres raisons de penser que 
l'urée et le glucose peuvent avoir des destins 
couplés. Les endocrinologues le savent bien (mais 
parfois pas les néphrologues), la gluconéogénèse 
et l'uréogénèse sont deux voies métaboliques qui 
sont étroitement couplées dans le foie, à partir 
d'acides aminés, et sont stimulées ensemble par 
le glucagon. La synthèse d'urée permet d'éliminer 
les atomes d'azote des acides aminés après 
désamination du radical carboné. Donc, quand j'ai 
trouvé l'article sur le passage d'urée dans le 
SGLT1, j'ai pensé qu'il était plausible que ces 
deux métabolites puissent aussi être couplés pour 
certains mouvements dans le rein.

A propos de la question concernant les troubles 
digestifs de ce patient, SGLT1 est aussi exprimé 
dans l'intestin. Voir par exemple:

Am J Physiol Cell Physiol. 2008 Aug;295(2):C475-89
Revised immunolocalization of the Na+-D-glucose 
cotransporter SGLT1 in rat organs with an 
improved antibody.
Balen D, Ljubojevic M, Breljak D, Brzica H, Zlender V, Koepsell H, Sabolic I.

Donc, une anomalie génétique de SGLT1 pourrait 
être responsable des troubles observés chez ce 
patient.

Je suis très intéressée de discuter avec vous de 
la façon d'explorer plus avant ce patient. Je ne 
sais pas comment on pourrait améliorer son état 
(peut-être ce que je dis ici pourrait vous y 
aider?). Mais l'étude de ce cas peut peut-être 
permettre de comprendre des mécanismes 
physiologiques normaux dont lui est dépourvu.

En tout cas, si vous suivez mes arguments, la 
recherche d'une anomalie de SGLT1 est une piste 
possible. Si vous décidez de le faire, j'espère 
que vous voudrez bien m'associer à ce travail. Et 
je serai très intéressée aussi par une 
exploration phénotypique plus détaillée.

Remarque: n'étant pas médecin, je n'avais jamais 
entendu parler de diabète "rénal". Je viens de 
regarder de quoi il s'agit sur Internet mais je 
n'ai trouvé qu'une brève mention dans un site 
français. Il serait intéressant de savoir si 
cette pathologie est  toujours associée à une 
urée plasmatique élevée. Connaissez-vous d'autres 
descriptions d'anomalies de l'urée dans ce 
syndrome? D'autre part, peut-être que les auteurs 
qui ont étudié les cas d'azotémie familiale sans 
insuffisance rénale dans le passé ont négligé de 
rechercher une glycosurie. Si elle existait 
aussi, la cause de ces deux affections serait la 
même. Je vais rechercher dans les articles en 
question si quelque chose était mentionné à ce 
sujet (pour info, ces trois articles sont cités 
dans mes deux références mentionnées au début de 
mon message). Mais on peut aussi penser que des 
anomalies génétiques différentes conduisent à un 
défaut de sécrétion d'urée sans défaut de 
réabsorption du glucose si une autre molécule 
membranaire ou un autre élément de la chaîne est 
touché.

Si ces hypothèses que j'ai échafaudées sont 
correctes et si on peut les confirmer par la 
description de ce patient, cela donnerait la 
possibilité de faire une publication originale! 
Mais je m'enthousiasme peut-être un peu trop 
vite??

Merci de me dire si toutes ces considérations vous ont intéressé.

Lise Bankir
INSERM U 872, Paris

P.S. Comment se dit "diabète renal" en anglais? Merci d'avance.



>Message de la liste nephrologique francophone RENALISTE
>----------------------------------
>Homme de 38 ans, de poids normal, sans 
>antécédents personnels ou familiaux 
>significatifs, ne prenant aucun traitement, 
>adressé pour glycosurie normoglycémique.
>
>La glycosurie est confirmée, y compris après une 
>douzaine d'heures de jeûne, avec glycémie 
>concomitante normale.
>Sur la biologie sanguine et urinaire, il n'y a 
>aucun argument pour une tubulopathie proximale 
>complexe, la chromatographie des acides aminés 
>urinaires est notamment normale. Le bilan n'est 
>pas poussé jusqu'à la mesure du Tm du glucose, 
>puisque le diagnostic de diabète rénal ne fait 
>nul doute, et qu'il n'y a pas intérêt pratique à 
>définir si c'est un type 1 ou type 2.
>
>Ce qui m'interpelle, c'est la constatation de 
>deux particularités sémiologiques :
>- D'une part, une urée sanguine un peu haute 
>(8,8 puis 9,1 puis 7,5 mmol/l) alors que la 
>fonction rénale est normale (créatinine à 88 
>µmol/l, DFG à 90 ml/min/1,73m"). Urée urinaire à 
>440 mmol/24h (clairance de l'urée à 40 ml/min). 
>Il n'y a pas d'hyperammoniémie, ni d'anémie.
>- D'autre part, depuis l'enfance, il a une 
>intolérance digestive quasi-total aux aliments 
>sucrés, notamment sucres raffinés et fruits. Pas 
>d'autres intolérances digestives (gluten,...) et 
>pas de signes de malabsorption ni de dénutrition.
>
>Sur le tableau clinico-biologique, je n'ai aucun 
>argument pour une maladie de surcharge, type 
>glycogénose,  sphingolipidose, cystinose ou 
>tyrosinémie.
>
>1) Doit-on forcément voir un lien entre le 
>problème digestif et le diabète rénal ? 
>(certains transporteurs membranaires de 
>l'entérocyte sont les mêmes que dans 
>l'épithélium tubulaire).
>2) Quid de l'élévation isolée de l'urée ?
>
>Merci et bon week-end
>
>Dr Hamid NEFTI
>Praticien Hospitalier
>Néphrologie et Dialyse
>Centre Hospitalier
>71 000   MACON
>hanefti at ch-macon.fr<mailto:hanefti at ch-macon.fr>
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